Les sujets de société et de morale autour desquels tournent la plupart des discussions sur la nature de l’entreprise – c’est à dire d’une organisation qui réalise une intermédiation pour « prendre entre » –  ou autour de l’acte de vente – c’est à dire l’acte de faire payer par un client le fruit de l’intermédiation définie ci-dessus – sous leur apparence parfois superficielle, voire café du commerce, se résument finalement à une question très simple : ‘’À quoi sert un vendeur ?’’

Plusieurs raisons d’être se confrontent ; elles soulèvent des questions qui sont de fait politiques dans le sens de l’organisation de la société et de ses valeurs, elles dépassent largement le cadre d’une entreprise et interpellent en réalité chacun d’entre nous sans avoir à se dire que les responsabilités suprêmes, donc la responsabilité suprême, sont hors de notre portée.

– Le vendeur peut servir à la famille qui l’emploie, c’est particulièrement vrai dans les magasins et commerce familiaux, il est alors au service de la gestion du patrimoine. Son impact économique, sa carrière et son avancement, sa rémunération dépendent d’abord de la satisfaction des propriétaires. Notre littérature et notre vie quotidienne grouillent de questionnement sur l’éthique des petits commerçants.

– Le vendeur peut servir à l’actionnaire, quand il ne s’agit pas, ou pas totalement, d’une famille. La mesure de ses performances, agrégées, est le TSR ou Total Shareholder Return. Le vendeur est ici au service des profits des actionnaires et il sera mesuré en conséquence. Qu’il accepte ou non les finalités de ces derniers est une question trop souvent traitée comme secondaire. Il est vrai que la psychologie ambiante nous conduit trop souvent à accepter de vendre des choses que l’on condamne sur le fond ou que l’on sait mauvaises pour les clients ou la société.

– Le vendeur peut-il servir aux dirigeants et à leur rémunération ? Indirectement la question se rapporte à la précédente avec la nuance que le vendeur devient alors complice d’un jeu entre les actionnaires et les dirigeants. Mais comme le vendeur est un salarié, il peut commencer à s’interroger sur la légitimité du salaire du grand patron qui est de fait payé par ses efforts à lui pour vendre les produits. Sa morale est-elle choquée ? si oui comment fait-il ?

– Le vendeur travaille-t-il pour lui ? Pour gagner sa vie, nourrir sa famille, se développer en compétences, etc. et même en oubliant les questions posées par les points précédents se pose tout de même une prochaine question. Que veut dire « pour lui » quand il y a autour de lui dans le même espace professionnel, des autres CDI mais aussi, et de plus en plus surtout, d’autres statuts de collaborateurs, comme les intérimaires, les CDD, d’autres non-salariés etc. ? La question philosophique du vendeur devient alors, en travaillant pour lui-même et en se faisant défendre par ses syndicats et en obtenant des augmentations annuelles que les autres statuts n’obtiennent pas : se comporte t-il en citoyen solidaire et responsable ? Ou contribue-t-il à creuser des inégalités et des disparités sociales qui deviennent socialement inacceptables ?

– Le vendeur travaille-t-il pour que l’entreprise serve son écosystème proche, en particulier ses fournisseurs et, surtout, ses clients ? En d’autres termes a t-il l’impression de travailler pour le bien commun ? Pour le confort de la société autour de lui ? Quelles satisfactions cela lui apporte t’il ?

– Le vendeur travaille-t-il pour que l’entreprise serve de façon plus large la société au sens large ? Autrement dit, que fait-on de la responsabilité sociétale de l’entreprise, qu’il s’agisse de sa contribution au bien être, à la santé, à la recherche, au progrès, à l’éducation, à la formation, etc. ? Cette interrogation, qui soulève des questions très sérieuses en matière de gouvernance et d’allocation des ressources, se pose bien sûr à chaque vendeur et peut devenir pour lui source de honte ou de fierté selon les interprétations que la société fait de son activité. Que l’on songe par exemple au vendeur d’automobiles face au scandale du diesel ou aux vendeurs de tabac.

– Finalement, tout au moins pour l’instant car la liste peut s’allonger, le vendeur sert-il une entreprise qui se préoccupe d’assurer une croissance durable et écologique pour la planète ? La question n’est pas souvent posée mais tout vendeur peut-il regarder droit dans les yeux ses arrières petits-enfants pas encore nés ?

La place politique du vendeur dans notre société est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît ou que l’on veuille bien lui concéder. Plus encore que l’ouvrier de production car il est au contact de la réalité du marché et de l’impact de son activité. Il a autant de pouvoir, dans le bon et le mauvais sens, que les politiques et les dirigeants quand ceux-ci prennent des décisions sur les axes que nous avons évoqués ci-dessus.

Dominique Turcq
Contributeur @ EFFORST
Fondateur du Boostzone Institute, Docteur en Sciences Sociales (EHESS, Paris) et en management (Doctorat HEC), il a été Directeur général stratégie chez Manpower Inc. et Directeur marketing de Sony France. Sa carrière comprend aussi le conseil (Partner chez McKinsey), l’enseignement (HEC, ESCP, INSEAD) et le monde administratif (Conseiller au Commissariat au Plan, prospectiviste auprès du ministre de l’Industrie)
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