Introduction par le comité éditorial EFFORST : 
Magnifique article de notre camarade Georges LEWI : Georges est sociologue des mythes, spécialiste du Storytelling et du branding. Il a créé, accompagné, développé des marques de premier plan tout au long d’une carrière d’une rare richesse. C’est aussi un auteur au long cours que je vous recommande, et son site regorge d’articles facétieux, pédagogiques et passionnants pour les pros comme pour les néophytes qui ont tout à apprendre de sa très longue expérience du marketing.

Il partage ici un point de vue original sur la réputation du Vendeur, et sur la source originelle de son image déplorable. Il nous fait l’honneur de rejoindre EFFORST (European Foundation FOR Sales Transformation) en qualité de contributeur, et cet article est un point de vue qui participe des fondements de notre démarche collective.
En bas d’article, vous trouverez une vidéo dans laquelle il développe son point de vue, c’est hautement instructif et stimulant (nous l’avons interviewé après avoir lu l’article, et avons jugé opportun de publier les deux en complément). Ne pensez pas que nous soyons complaisants : Georges comme mentor intellectuel et comme auteur est une perle, vous ne nous en voudrez absolument pas de vous l’avoir si bien vendu… 


La plupart des divinités de la mythologie sont des archétypes à message unique, celui de la force avec Héraclès-Hercule, de la beauté avec Aphrodite-Vénus, de la justice avec Thémis-Justitia.

Le dieu du commerce est lui dès l’origine, tel Janus une divinité double.

Hermès, dieu des marchands est directement fils du roi des dieux, Zeus dont il devient le messager agile : « car il vole aussi léger que la pensée pour remplir cette mission divine, celle des prophètes ». C’est lui qui était chargé entre autres de conduire les âmes à leur dernière demeure, tâche ô combien spirituelle.  Son origine divine et sa fonction quasi religieuse ne sont donc pas contestables.

Mais dès sa naissance, lui le fils du « patron des dieux » se comporte mal et se fait voleur :

 

« L’enfant naquit à l’aube.
Et avant que la nuit tombe
Il avait dérobé les troupeaux d’Apollon ».

 

Ce drôle de sale gosse, doué comme pas deux, avait aussi à sa naissance inventé le premier instrument de musique en fabricant une lyre à partir d’une carapace de tortue.

Pour terminer le portrait, son père, Zeus, l’oblige à donner, en guise de compensation, cette précieuse création à Apollon pour s’excuser du vol lors de la restitution des troupeaux.

Hermès, la divinité double était née. Messager divin et voleur.

Il fut dès la plus haute antiquité le dieu des marchands, ceux qui portaient partout la bonne parole en sillonnant les routes, et celui des voleurs.

En plus, de tous les dieux, la mythologie s’accorde à le considérer comme le plus subtil et le plus astucieux. Aucune autre divinité n’apparaît autant qu’Hermès-Mercure dans les mythologies gréco-latines. C’est dire la place qu’il occupait !

Ses insignes sont une paire de sandales ailées et une baguette magique. La rapidité et un pouvoir augmenté.
De quoi rendre jaloux bien des dieux antiques et bien des humains contemporains !

Comme toujours tout est dans ce mythe fondateur. Le vendeur est un surdoué, un charmeur, un créatif. Il peut être tenté comme tous les surdoués d’en « profiter » un peu tant il est au-dessus des autres, nous dit la mythologie.
Comme il n’est pas réellement malhonnête, il restitue sans rechigner ce qu’il a détourné et apporte même un joli cadeau en offrant la musique aux paroles d’excuses.

Faisons un bon de quelques siècles.

On dit volontiers que le monde est depuis toujours, divisé en deux. Celui du vin, des micro-parcelles et celui de la bière issue des larges terres des céréaliers. Le vigneron se défie de ce qui dépasse son terroir, le brasseur « brasse » large.

Les pays du sud, pays du vin, souvent latins, vont voir dans ce trop vendeur, trop doué, l’archétype du risque et vont très vite le traiter de voleur. Les pays du nord, buveurs de bières, plus habitués à ouvrir la porte aux marchands de houblons et autres négociants vont voir le « messager ailé ».

L’image du vendeur suit cette séparation de ces deux mondes, celui de la clôture, celui de l’ouverture.

D’un côté, on se méfie des « marchands ». De l’autre ils sont les « meilleurs d’entre nous ».

Dans une entreprise anglo-saxonne, un marketeur est d’abord un vendeur qui fera ses classes sur le terrain de la vente pure avant de pouvoir réfléchir au discours sur les produits.

Dans les organisations à la culture plus latine, le responsable marketing « fait des études » et ne se mêle pas aux commerciaux de peur de trahir la pureté de sa réflexion.

D’un côté marketing veut d’abord dire « commercialiser, aller au marché, échanger. »  C’est la fonction de conversation, d’ouverture de celui qui sait partager sa parole. Sa noblesse est implicite. De l’autre, le mot même est devenu une injure par ce qu’il induit une facilité à convaincre (donc à vaincre) que d’autres n’auraient pas.

Hermès-Mercure est bien le responsable cet état de fait. Le plus doué des dieux antiques ne pouvait que plaire à ceux qui admirent la réussite et ne pouvait que susciter rejet auprès de ceux qui rejettent toute réussite fondée sur un don.

La question de la perception du vendeur est une question ontologique de la société toute entière.

Faut-il accepter que les hommes et le monde ne puisse pas être totalement égalitaires ? Le monde de la vente est celui de l’équité, des mêmes règles de rémunération pour tous. Mais il n’est pas celui de l’égalité car il génère pour les plus doués (quelquefois aussi les plus travailleurs) un avantage sur leurs « petits copains ».

La question des vendeurs et de leur image pose, par conséquent, la question des valeurs de la société dans laquelle ils opèrent…

 

Georges Lewi
Contributeur d'EFFORST
Consultant, enseignant (ex-HEC et CELSA), essayiste et romancier, Georges est auteur d’une douzaine d’ouvrages. Stratège des marques qu’il décrit comme nos « mythologies contemporaines », il est un expert européen reconnu en branding et storytelling.
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